En
Nouvelle Calédonie, Territoire d'Outre Mer, la société
kanak est fondée sur l'échange de la parole : la
coutume et ses symboles expriment les liens qui unissent les hommes.
La parole recèle une très grande valeur. Au delà
des mots, elle exprime le sens du sacré à toute
chose.
En France métropolitaine, il y a des familles, des groupes, des quartiers, des villes et villages qui fondent les relations entre individus.
En Nouvelle Calédonie,
le " pays " kanak désigne un groupe social en
rapport avec un clan fondateur, lié à la surface
de terre d'origine qui donne son nom au groupe. Au delà,
rattachée à un clan, il y a la Tribu qui est la
référence de base de la société kanak
avec un Chef à leur tête. Ce Chef, de tribu ou de
clan, avec son Conseil, est la vraie autorité suprême
dans les " pays " en Nouvelle Calédonie. Il est
un personnage incontournable dans les relations avec les autorités
françaises, voire les autres pays.
Dans tout ce contexte, " Faire la coutume " consiste à vivre et à respecter les rites dans les cérémonies qui ponctuent les évènements de la vie. Il n'est pas aisé au simple touriste de " vivre la coutume " kanak.
Avoir pu " faire la coutume " est, surtout pour un non kanak, un privilège et un honneur sans égal. Ce que j'ai vécu a été l'occasion particulière, plusieurs fois, d'être accueilli dans des tribus, puis un clan, par son Chef ou son représentant direct.
Ce 13 Juillet2001, je pars de Nouméa vers Yaté à 80 kilomètres, côte Est de la province Sud, pour être présenté, et accueilli pour la première fois dans la famille d'un proche de Chef de tribu, le père de Valérie ma cousine kanak.
J'aurai d'abord
dû être présenté au Chef de tribu mais
il vit à 400 kilomètres de là, à Puébo,
sur la côte Est de la Province Nord. Comme cela n'est pas
possible dans le présent, et qu'il est impératif
que " je fasse la coutume " pour entrer dans ma nouvelle
famille, c'est donc chez son fils que se fera cette coutume sans
laquelle il m'aurait été impossible de " faire
connaissance ", - comme nous dirions en France métropolitaine
-, c'est-à-dire d'entrer dans le monde kanak.
La société kanak est également basée sur la place prééminente de l'aîné masculin. Et, comme auparavant j'ai fait la connaissance de Bertrand, jeune homme au look " barthésien ", frère aîné de Valérie, c'est donc à lui que revient la tâche de me présenter à son père. Je ne peux pas être présenté sans lui ; il doit le faire.
En quoi consiste, ici,
la coutume ? Que doit faire chacun ?
D'abord tout se passe sur le seuil de la maison. Les femmes restent un peu à l'écart.
Bertrand est, ici, l'orateur de celui qui est accueilli ; il demande donc l'hospitalité et met toute son ardeur à expliquer, et surtout convaincre son père de m'accueillir dans sa maison.
Puis le père, Edmond, à son tour, va prendre la parole en signe d'accueil dans sa maison. Dans une expression imagée et significative de la tradition kanak il nous parle de " fumée qui nous a montré sa maison ", de " chemin de l'hospitalité ", de " cette porte qui sera toujours ouverte quand je repasserai par là ", de " tradition kanak ".
Nous avions préparé et amené un don qui garantit la valeur des mots. C'est un ensemble constituée obligatoirement d'un morceau d'étoffe (le manou), de tabac, de denrée et d'un billet (de faible valeur). Jadis, la " monnaie kanak ", faite de matériaux qui permettaient d'identifier le clan d'appartenance, jouait un rôle majeur dans le système d'échanges. Elle faisait partie du don, représentait l'ancêtre et véhiculait la parole.
Ensuite, Bertand demande à son père de bien vouloir accepter ce manou, ce tabac, ce paquet de sucre, ce paquet de riz et ce billet en signe de respect de ma part.
Je dis avec émotion combien je suis honoré d'être accueilli chez lui, dans ma nouvelle famille. Je le remercie, bien sûr.
Ca y est la " coutume est faite ", ça y est " j'ai fait la coutume " kanak. C'est surréaliste mais il s'est passé quelque chose d'inexplicable, d'indéfinissable dans le vécu de cette tradition, de ce rite coutumier kanak.
Ca y est la glace est " rompue ". Nous pouvons nous installer dans la salle à manger, …, prendre l'apéro et déjeuner ensemble, en famille !
Quelques jours tard, selon le même rite, " je ferai la coutume " une fois de plus pour être présenté au Chef de clan des pécheurs, Nounou, un sage qui vit retiré loin de tout confort, au bord du lagon près de Yaté. Un sage dont le regard se perd tous les soirs dans la contemplation de son coucher de soleil.
Un peu plus tard, nous étions présentés selon la coutume, au Chef de tribu à Puébo, dans le Nord, et accueillis, reçus comme dans la tradition kanak, c'est-à-dire chaleureusement comme savent le faire les gens des " pays kanaks ".
Antoine FERNANDEZ ( été 2001 )